La règle du forfait de pension est une construction jurisprudentielle des années 1905 / 1906 suivant laquelle en cas d'accident de service ou de maladie professionnelle, la réparation des préjudices est forfaitaire par le biais des règles statutaires applicables aux fonctionnaires. Cette règle interdit toute action contre l'employeur quel qu'en soit le fondement. Initialement considérée comme raisonnable et avantageuse pour les agents, cette règle a fini par être fort critiquée dans le contexte actuel, en raison principalement du fait qu'elle empêchait le caractère complet de la réparation du dommage d'une part, et même lorsque l'administration avait commis une faute, d'autre part.

Une première évolution a donc été amorcée avec les arrêts Castanet et Bernard (CE, sect., 15 déc. 2000, M. Castanet : Rec. CE, p. 616 ; CE, sect., 15 déc. 2000, Mme Bernard, n° 193335 : AJDA 2001, p. 158 ; RFD adm. 2001, p. 701, concl. D. Chauvaux) qui ont reconnu la possibilité d'une action complémentaire lorsque l'origine du dommage n'a pas de lien avec la survenance de l'accident de service ou de la maladie professionnelle, et était due, comme dans ces espèces, aux mauvais soins qui ont été prodigués.

Par ailleurs, certains arrêts de cours administratives d'appel sont allés encore plus loin et ont ouvert la voie d'une action en responsabilité fondée sur la faute lourde (CAA Bordeaux, 14 mai 2001, Planells : AJDA 2001, p. 987, note J.-L. Rey. - CAA Nancy, 14 juin 2001, Pruchnowski : AJDA 2001, p. 986, note P. Brousselle).

Il était donc nécessaire que le Conseil d'Etat introduisît une nouvelle cohérence dans le régime juridique de ces préjudices. C'est ce qu'il a fait avec l'arrêt Moya-Caville. Ainsi que l'indique très expressément le considérant de principe, un agent public victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle dispose désormais d'un régime de responsabilité composé de « trois étages successifs » selon l'expression de MM. Francis Donnat et Didier Casas, Maîtres des requêtes au Conseil d'Etat, dans leur commentaire paru à l'AJDA 2003 p. 1598.

  • Le premier étage est celui, classique, de la pension d'invalidité. Comme c'était le cas depuis 1905, la pension continuera de réparer forfaitairement l'atteinte à l'intégrité physique de l'agent, c'est-à-dire les seuls préjudices corporels.
  • Le deuxième étage du régime a vocation à permettre la réparation des préjudices non corporels subis par l'agent. Alors même qu'il est titulaire d'une pension d'invalidité, il pourra demander réparation, en dehors de toute faute de l'administration, des préjudices non couverts par la pension (souffrances physiques et morales, troubles dans les conditions de l'existence et perte de chance).
  • Enfin, le dernier étage du régime va au-delà de la responsabilité pour risque professionnel et ouvre à l'agent la possibilité d'une action fondée sur le droit commun de la responsabilité. Ainsi, l'accident imputable à une faute de l'administration ou à l'état d'une voie publique dont l'entretien lui incombait peuvent être l'occasion d'une action de droit commun de la part de l'agent, alors même qu'il est titulaire d'une pension d'invalidité. A cet égard, il résulte nettement de la motivation de la décision commentée qu'une faute lourde n'est pas exigée.

Cette jurisprudence est d'une application constante depuis son intervention (voir par ex. : C.E. 25 juin 2008 n° 286910 JCP administration et collectivités locales n° 28, 7 juillet 2008, act. 619 ; T.A. Versailles 14 novembre 2008 Montet-Toutain JCP ed. G. n° 4, 21 janvier 2009, II 10014).